

Annuellement, Reporters sans frontières (RSF) publie son Classement mondial de la liberté de presse. À partir d’un formulaire disponible en ligne, 87 questions sont adressées à des professionnel.l.e.s des médias, sociologues et juristes afin de déterminer le niveau de liberté de presse dans 180 pays. Traduit dans une vingtaine de langues, ce formulaire est découpé en thématiques, lesquelles sont des indicateurs du degré réel de liberté de la presse dans chaque pays. Pour le Canada, ça ne s’arrange pas!
De la 8è place qu’il occupait en 2015, le pays du castor a dégringolé au 18 ème rang en 2016. Les années de gouvernance de Stephen Harper (2006-2015) seraient à l’origine de cette régression, disent les auteurs du rapport. Et avec la loi C-59 que le gouvernement québécois de Philippe Couillard veut faire adopter, le Canada risque de reculer encore dans les années à venir.
Tous se souviendront sans doute de la dernière et interminable campagne électorale fédérale, à l’automne 2015: un premier ministre qui restreint le travail des journalistes, contrôle sévèrement les questions posées et le choix des journalistes, multiplie les atteintes à la liberté d’expression, rend plus difficile l’accès à l’information gouvernementale et limite la circulation des photos-journalistes sont autant de facteurs qui ont contribué à affaiblir la position du Canada dans ce classement, dit Reporters sans frontières.
Un cadre légal dangereux pour la protection des sources
Pourtant, ces restrictions politiques ne sont pas les seules à retenir l’attention de l’organisme. Les thématiques retenues dans la méthodologie de RSF, au nombre de 7, vont de la transparence – qui fait de plus en plus défaut au Canada – au pluralisme idéologique, à l’indépendance des médias en passant par un cadre légal souple et favorable au travail des journalisme, l’environnement de travail et l’autocensure (analyse des conditions d’exercice des activités d’information), les exactions commises envers les reporteurs et les infrastructures supportant la production de l’information.
Parmi ces thèmes, notons le cadre légal canadien qui doit, en principe, permettre au journaliste de protéger ses sources afin de nourrir son droit démocratique à libérer de l’information d’intérêt public. Selon le journal Métro, le journaliste de Vice News Ben Makuch a récemment reçu l’ordre de la cour de remettre à la Gendarmerie Royale du Canada (GRC) la correspondance qu’il a eue avec un membre de l’État Islamique, Farah Shirdon.
Recherché par la police fédérale, Shirdon se serait rendu en Syrie pour faire le Jihad (la guerre sainte). La GRCvoulait mettre la main sur le contenu de l’échange entre le journaliste et le Jihadiste afin d’étoffer sa preuve. Or, cette décision d’une cour ontarienne soulève des préoccupations importantes de la part d’organismes voués à la défense de la liberté de presse au Canada.
Une liberté de presse attaquée par le politique…
D’abord que les journalistes n’existent pas pour suppléer ou complémenter le travail que les corps policiers sont incapables de faire eux-mêmes. Autrement dit, les journalistes ne sont redevables ni à l’État, ni à la police. Cette décision juridique biaisée, qui sera vraisemblablement contestée par Vice News, pourrait ensuite avoir un impact très négatif sur la qualité du travail effectué par les journalistes.
La protection des sources étant essentielle et incontournable à la libération d’informations sensibles, ce jugement risque de sérieusement compromettre l’équilibre démocratique que le journalisme d’intérêt public contribue à maintenir et renforcer au quotidien.
Enfin, cette charge juridique contre la liberté de presse peut logiquement être considérée comme une attaque insidieuse du politique envers un des piliers de la démocratie car elle a lieu simultanément dans plusieurs pays occidentaux en évoquant, comme par hasard, le même motif politique délétère: la sécurité nationale.
Autrement dit, est-ce une action préméditée et concertée des États occidentaux pour restreindre le champ d’action des journalistes dans la recherche de la vérité dont ils ne veulent pas la diffusion?
… Aux États-Unis d’Amérique également!
La réponse à cette question trouve peut-être sa finalité dans le classement de RSF concernant les États-Unis d’Amérique. Pointant cette année en 41è position, ce pays, déclamant à tout vent son amour de la liberté, n’offre toujours pas aux journalistes une loi bouclier protégeant leurs sources et autres données confidentielles.
Au nom de la lutte au « terrorisme » et de la guerre livrée aux « lanceurs d’alerte » qui rendent publics les crimes commis par l’État, les militaires ou les agences de sécurité, notamment l’intrusion sans limites dans la vie privée des citoyens étasuniens et les exactions commises secrètement à l’intérieur et à l’extérieur du pays, on constate une dégradation de la liberté de presse dans ce pays.
Le traitement réservé par les politiques aux « lanceurs d’alerte » Edward Snowdon et Julian Assange, deux sources inestimables pour les journalistes dont un, de citoyenneté étasunienne, ancien consultant pour la NSA (National Security Agency) et informaticien, est en exil forcé en Russie alors que le second, fondateur de Wikileaks, journaliste et citoyen australien, est enfermé à l’ambassade équatorienne de Londres depuis plus de trois ans, nous rappelle la fragilité de ce droit fondamental qu’est la liberté de presse en démocratie, et du danger qu’il représente pour le pouvoir lorsqu’il est exercé en dehors des cadres stricts de la loi.